Télécharger la fiche au format pdf en cliquant sur ce lien : Comment les professionnels des sciences humaines occultent la violence éducative ordinaire
« Trou noir » et cécité
Au terme de ce livre, j’espère avoir démontré qu’il existe bien un « trou noir » dans les sciences humaines concernant la violence éducative. Comment comprendre autrement en effet que, sur 99 professionnels des sciences humaines qui réfléchissent sur la violence, 80 d’entre eux, dont les plus connus :
ne disent pas un mot de la violence quantitativement la plus fréquente, la plus familière, celle qui est infligée aux enfants depuis au moins 5000 ans pour les éduquer ;
ne soupçonnent pas que cette violence à but éducatif puisse être une des causes des autres formes de violence, puisque les enfants la subissent au moment où ils sont très perméables à l’exemple du comportement des adultes ;
affirment au contraire pour la plupart que la cause de la violence humaine réside dans les « instincts » et dans les « pulsions » qu’ils attribuent aux enfants ;
ne tiennent pas compte du fait que les principaux comportements innés des enfants sont des comportements relationnels socialisants qui, s’ils sont accompagnés avec bienveillance, préparent les enfants à des relations harmonieuses avec leurs semblables ?
L’omission de la violence éducative par ces auteurs est d’autant plus surprenante que, depuis une vingtaine d’années, l’idée d’interdire les punitions corporelles se manifeste périodiquement dans les médias et qu’elle est soutenue, (…) par quatre grandes organisations de l’ONU : le Comité des droits de l’enfant, l’UNESCO, l’UNICEF et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ainsi que par le Conseil de l’Europe. (…)
Les auteurs de ces ouvrages pourraient émettre des doutes sur l’autorité de ces organisations ; mais en réalité, ils semblent simplement ignorer leurs déclarations ou ne leur avoir prêté aucune attention.
Un pli laissé en nous…
Cette cécité ou surdité sélective qui, rappelons-le, atteint aussi la majorité des penseurs des siècles passés, indifférents aux violences subies par les enfants depuis des millénaires, est trop massive pour être due au hasard. (…) Elle persuade les enfants qui la subissent qu’ils sont fautifs et que les coups qu’ils reçoivent sont un juste remède au mal qu’ils portent en eux. (…) Le « pli » laissé en nous est d’autant plus durable qu’il est inconscient. Comme la majorité des enfants, les auteurs que j’ai étudiés ont sans doute subi des formes de violence éducative, ou, si ce n’est pas le cas, ils ont été imprégnés de la culture développée par cette violence partout où elle sévit et qui va toujours dans le même sens : voir l’origine du mal dans les enfants et considérer qu’il est normal et efficace de l’extraire par des coups ou des punitions diverses. (…)
« L’intime gouverne le monde237 »
Ce que subissent les enfants dans l’intimité familiale et à l’école se diffuse de mille manières dans la vie sociale, politique et scientifique. La méconnaissance, voire le déni de l’influence de la violence éducative, mutilent notre approche de la réalité. Cette méconnaissance résulte elle-même de la violence qui a modelé nos cerveaux à un âge où nous étions sans défense. (…)
Témoignages de l’extrême
Il est significatif que ce soit des situations les plus extrêmes que nous parviennent des témoignages qui montrent à quel point une éducation confiante dans les ressources des enfants leur permet d’être épanouis à l’âge adulte. Frans Veldman, l’inventeur de l’haptonomie, a raconté qu’alors qu’il était en camp de concentration, il s’était demandé pourquoi certains de ses compagnons étaient capables de comportements « prodigieux de beauté, de générosité, d’abnégation, d’héroïsme ». Leurs comportements s’expliquaient, d’après Veldman, par « une liberté intérieure, une confiance intérieure en eux-mêmes qui faisaient tragiquement défaut à la plupart. Curieusement, cette assurance ne les coupait pas des autres, mais, bien au contraire, leur faisait ressentir de la compassion, comme si, en s’individuant mieux, ils avaient en quelque sorte rejoint un fond affectif commun à toute l’humanité. » « Pourquoi, s’est alors interrogé Veldman, les hommes et les femmes engendrent-ils si rarement des êtres pleinement humains ? » Pour lui, la réponse est claire : le comportement de ses compagnons venait de l’enfant qu’ils portaient en eux. « Un enfant parfois rayonnant – chez ceux dont les actes d’héroïsme dépassaient l’entendement. Mais beaucoup plus souvent, c’était un enfant peu sûr de lui, flageolant sur ses jambes, un enfant qu’à l’évidence on avait mal aimé. Parfois même rudoyé dès le début. Mal parti dès la naissance241. » (…)
L’éducation des Justes
(…)
Une autre enquête effectuée auprès de plus de 400 Justes, ces hommes et ces femmes qui, au risque de leur vie, ont sauvé un grand nombre de Juifs menacés de déportation243, conforte cette réflexion.
L’objectif de cette enquête était de déterminer les traits de la personnalité altruiste. Ces hommes et ces femmes ne connaissaient pas en général les personnes qu’ils sauvaient. Elles n’étaient parfois ni de leur nationalité, ni de leur religion et ne parlaient pas toujours leur langue. Ils ont souvent réagi spontanément et ont expliqué leur acte en déclarant qu’ils ne pouvaient pas faire autrement, que c’était naturel. Ils n’ont d’ailleurs pas cherché à se faire connaître après la guerre et ceux qu’ils ont sauvés ont eu souvent beaucoup de mal à les retrouver. Or, quand on les a interrogés sur leur éducation, les quatre réponses qui sont revenues le plus souvent à propos de leurs parents étaient :
qu’ils étaient affectueux,
qu’ils leur ont appris l’altruisme,
qu’ils leur ont fait confiance,
qu’ils leur ont donné une éducation non autoritaire et non répressive.
Cette enquête semble montrer que des enfants qui sont aimés, respectés par des parents qui croient en eux et qui, par leur exemple, leur offrent des modèles d’altruisme, ont beaucoup plus de chances de devenir des êtres vraiment humains, au sens le plus fort de ce mot. Tous les enfants viennent sans doute au monde équipés, simplement par leur nature d’êtres sociaux, pour développer de tels comportements relationnels qui nous paraissent exceptionnels, voire héroïques, et qui seraient peut-être le fait de la majorité des hommes et des femmes si l’éducation respectait leur intégrité au lieu de l’altérer.
Ce qui humanise les hommes
Il faut aller plus loin. Ce qui humanise les hommes, ce ne sont pas les « corrections », ce n’est pas la « sublimation » de « pulsions » agressives, ce ne sont même pas la culture et la civilisation qui peuvent être durablement compatibles avec les pires comportements et les pires aveuglements. Ce qui humanise les hommes, c’est d’abord le déploiement, l’épanouissement de ce que Maria Montessori appelait le « dynamisme social » des enfants, qui les porte, quand il n’est pas altéré par une éducation inadaptée, quand leurs parents vivent eux-mêmes des relations de sympathie et d’amitié, à rechercher la compagnie d’autres enfants et à devenir des adultes capables de vivre en empathie avec autrui.
C’est aussi la protection attentive, la tendresse, le respect, la considération qui leur sont manifestés par leurs parents, quel que soit leur niveau culturel.
Il est temps de nous dessiller les yeux et de voir la source de la destructivité là où elle est, c’est-à-dire non pas dans les enfants, mais dans la méthode qu’on emploie le plus universellement depuis des millénaires pour les « corriger ».
On ne viendra pas à bout de la violence, on ne parviendra même pas à la réduire si on ne s’attaque pas d’abord à la violence éducative, qu’elle soit physique, morale ou verbale, active ou passive, si on ne suscite pas chez les parents le désir d’éduquer leurs enfants sans violence et si on ne leur en propose pas les moyens.
Fabienne Darge, Le Monde, 22 janvier 2008.
Cité par Patrice Van Eersel, Mettre au monde, Enquête sur les mystères de la naissance, Albin Michel, p. 130.
Extraits de la conclusion du livre La violence éducative ordinaire : un trou noir dans les sciences humaines d'Olivier Maurel, p. 163 et suivantes.
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Pour accompagner les parents et éducateurs vers une relation sans violence éducative ordinaire, voici une suggestion de livres aux éditions l’Instant Présent :
J’élève mes enfants avec bienveillance (même quand c’est difficile !)
Une approche respectueuse, positive et concrète, des outils efficaces utilisables immédiatement : pour une vie de famille plus calme, plus heureuse et plus facile !
Aimer nos enfants inconditionnellement
En finir avec les punitions et les récompenses pour une relation basée sur la confiance : un besoin fondamental des enfants est l’amour inconditionnel, être aimés et acceptés quoi qu’ils fassent. Hélas, les approches conventionnelles des punitions, récompenses et toute forme de contrôle, transmettent aux enfants qu’ils sont aimés uniquement lorsqu’ils nous obéissent ou lorsqu’ils nous impressionnent.
Le mythe de l’enfant gâté
Parent hélicoptère, enfant surprotégé : des croyances révélatrices de notre société : on n’a rien sans rien, on n’a que ce qu’on mérite, si tu crois que ça va te tomber tout cuit dans le bec, dans la vie, il faut toujours un perdant, bref, cette idée qu’il ne faudrait pas que la vie des enfants soit trop facile est tout aussi prégnante – et délétère.
La véritable nature de l’enfant
Choisir l’amour pour guide : des thèmes de la vie quotidienne aussi variés que l’usage du berceau, les relations au personnel soignant, les récompenses, les punitions, les pleurs, les apprentissages…
Créer des liens
Ce livre propose aux familles adoptantes et aux parents d’enfants en difficulté de tisser un lien solide et apaisé, où le respect de l’enfant est toujours au premier plan.
Tout va bien, nous sommes paumés
Des éducateurs ont osé prendre le risque de restituer aux jeunes la possibilité de faire usage de leur libre-arbitre. Il n’y a pas d’apprentissage de l’indépendance pour les jeunes, sans prise de risques éducatifs pour les adultes. L’expérience qu’ils ont voulu raconter dans ce livre est celle d’un changement profond dans leur manière d’aborder l’éducation.
Le quotidien avec mon enfant
Avec des idées faciles à mettre en œuvre et des détails matériels tout simples, ce livre aide le lecteur à donner sa vraie place à l’enfant dans chaque pièce de la maison et dans la vie familiale. Enfin le lecteur peut aller beaucoup plus loin : amour, compréhension, relation parents-enfants, illustrés par des récits, des témoignages, des réflexions.
S’évader de l’enfance
John Holt explore l’institution qu’est l’enfance moderne et explique en quoi elle est néfaste pour nos enfants. Il se positionne résolument du point de vue des enfants et s’attache à démontrer que nous pouvons changer nos habitudes et nos lois pour permettre aux enfants de s’évader de cette enfance-institution en proposant des solutions concrètes.
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