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La Naissance, un voyage, morceaux choisis

Dernière mise à jour : 11 déc. 2020


Muriel Bonnet del Valle raconte comment Marthe parcourt le monde en quête de la façon dont les bébés naissent ailleurs. Afrique, Mexique, Inde, Brésil, elle termine son aventure en Corse où elle met au monde son deuxième enfant dans la mer au milieu des dauphins. Aujourd’hui beaucoup de ceux qui ont lu La Naissance, un voyage ont envie de savoir la suite, qu’est devenue Marthe, que fait-elle aujourd’hui ? Où vit-elle, et que sont devenu ses enfants ? Marthe a vieilli et est devenue grand-mère, cette autre aventure vous sera peut-être dévoilée dans un avenir proche. En attendant, pour tous ceux qui n’ont pas lu ce superbe livre reportage, voici un condensé pour vous donner l’eau à la bouche ;)


Afrique


Avançant à tâtons sur des sentiers non balisés, j’espère beaucoup de ma rencontre avec les habitants du Tiers Monde, ne sachant encore combien leur façon de vivre et de penser allait non seulement bercer mon foetus, mais amorcer en moi un véritable changement spirituel et psychologique. (...)

Notre présence suscite une grande agitation. La nouvelle que des Toubabs accompagnent leur griot se répand comme une traînée de poudre. Les voix joyeuses des enfants nous guident vers la grande case où le conseil des Anciens et les chasseurs en habit de cérémonie nous attendent. En signe de bienvenue on nous offre la bière de mil dans une calebasse, ainsi qu’une case pour la durée du séjour. Bien que tout ici me soit étranger, je me sens tout de suite à l’aise. Si les gens montrent de la curiosité à mon égard, il n’y a aucune agressivité. Au contraire, les femmes concernées par ma grossesse rient en touchant mon ventre et en parlant très vite. Je n’ai encore jamais ressenti autant de bienveillance. Quelle aubaine pour le « vilain petit canard » que je me sens être parfois.

Mexique

Donna Remigia, ce n’est pas n’importe qui. Elle a vu naître la moitié du village. Simple, discrète, sincère, authentique, joyeuse et attentive aux autres, c’est un être libre et conscient. « Élue » par le conseil des Anciens, sa mission est de préserver les traditions et les secrets mayas afin de les transmettre aux générations futures. (...)

Le soir même au coucher, je récapitule ce que j’ai appris sur les valeurs mayas grâce à l’aide généreuse de mon jeune interprète. Le respect et l’obéissance aux aînés, la protection des plus jeunes, la solidarité et le partage, semblent être les principes de base. L’entraide et l’entente entre enfants en découlent tout naturellement, et s’ils vont à l’école qu’ils adorent car ils s’y amusent bien, c’est pour apprendre à lire, à écrire et à parler l’espagnol. L’essentiel de l’éducation se fait à la maison. (...)

En dehors de ces occupations, Donna Remigia passe beaucoup de son temps à soigner. Sa fille Ilaria l’accompagne régulièrement dans ses visites et grâce à un espagnol tout à fait correct, elle me sert d’interprète. Peu à peu, se livrent les secrets. Au début de la grossesse, la femme vient chercher auprès de l’Élue la protection des Ancêtres ; la comadrona commence alors des soins proprement médicaux, à base de massages et de plantes. Les parturientes sont soumises à des règles strictes d’ordre spirituel et médical, ces deux aspects n’étant pas dissociés dans la médecine maya, comme ce le fut dans la médecine pythagoricienne. (...)

Des siècles de ces pratiques empiriques ont permis aux matrones d’accumuler des connaissances et un savoir étonnant. Si, en fin de grossesse, la comadrona décèle un mauvais positionnement du foetus, elle n’hésite pas à pratiquer une inversion. Les mains bien huilées, elle assouplit d’abord le ventre, établissant un contact physique avec le foetus ; ensuite, elle fait pivoter la tête vers le col. Cette manipulation douloureuse est cependant bien acceptée, car elle permet d’éviter l’hôpital et son cortège d’humiliations. Le centre hospitalier est leur terreur ; il n’y a pas de toucher interne dans l’obstétrique maya !


L’Inde


L’Inde originelle va me permettre de reconstituer lentement et douloureusement le puzzle de ma vie éclatée. Voyage éprouvant, difficile, à la recherche de la naissance. Quête de son énigme qui retourne à l’origine, à l’unité, à la source. À Bombay, de l’autre côté de la douane et après une interminable et gémissante file d’attente, plus aucun repère pour mes sens d’Occidentale. Suffoquant dans une chaleur moite, je suis envahie par les odeurs. Des senteurs de fleurs fanées se mélangent à des relents de vase, assaisonnées d’un soupçon de parfum d’encens. (...)

Un point rouge est dessiné entre ses sourcils. Frappée par la rare beauté de cette fillette, je reste impressionnée par la profondeur du regard que souligne l’antimoine. La tête bien droite et avec une calme sécurité, la petite examine l’inconnue qui s’approche. Je lui parle et l’enfant remonte ses fossettes. On s’observe avec intérêt. Deux boucles d’or pendent à ses oreilles et une médaille accrochée à une lourde chaîne en or décore son cou. En remuant, ses poignets font de la musique ; sans ces bijoux déjà portés avec coquetterie, je ne pourrais deviner le sexe de cet ange. Un domestique nous interrompt en apportant du tchaï et des pâtisseries. Kumari aussi curieuse que moi de notre rencontre, s’étonne de me voir seule avec mon fils. Je tente une explication.

– Dans mon pays où la famille a éclaté, il est fréquent que des femmes élèvent leurs enfants seules. – Cela doit être difficile ! commente-t-elle compatissante. Une sympathie nous attire l’une vers l’autre. Ravie de rencontrer cette Française si différente d’elle, Kumari répond sans réticence à mes questions sur la femme indienne.

– Chez nous le modèle du couple est tiré du roman d’amour entre Sita et Rama. Sita incarne l’idéal féminin, chaste, pur, tendre et noble ; elle est d’une fidélité à toute épreuve. Manu, le premier législateur de la race humaine selon les Védas, ordonne à la femme d’adorer son mari comme un dieu, même s’il est sans vertu, qu’il cherche le plaisir ailleurs ou qu’il est dépourvu de qualités. J’ai de la chance, mon mari est très gentil. »

Mariée vers douze ans après que ses parents ont consulté l’astrologue, ce n’est qu’à la fin de ses études que Kumari a rejoint son époux. « Actuellement beaucoup de jeunes filles refusent les coutumes traditionnelles de ces mariages arrangés, où la femme doit quitter son foyer pour aller vivre chez la belle famille à qui elle appartient désormais. Elle ne retourne dans la sienne que pour accoucher. »

Je lui demande comment elle a vécu cette coupure affective. Cela m’intéresse d’autant plus que moi-même, ayant été séparée depuis toute petite de ma mère j’en porte encore les traces. Attentive, consciente du poids de la tradition, j’écoute sa réponse. « La séparation fut difficile et j’en ai été bouleversée quelques temps, m’explique-t-elle. Mais ma mère m’a préparée à cette épreuve depuis ma naissance.

– Comment cela ?

– En m’entourant d’une d’affection particulière tout le temps où j’étais à la maison. Son modèle de courage et de bonté m’a guidée. Je l’aime, je l’admire et souhaite transmettre la même chose à ma fille. » Cette réponse me bouleverse. Il me semble soudain si naturel d’aimer sa mère, de ne pas chercher à couper le maillon de cette chaîne d’amour entre mère et fille. Au contraire ! Kumari souhaite l’agrandir.

Sous sa douce et respectueuse apparence, la femme indienne possède une force immense. La religion hindoue ne lui est pas défavorable ; en Inde le principe féminin shakti est une source d’énergie créatrice extraordinaire, bien que la naissance d’une fille ne soit pas toujours bien accueillie. (...)

En voyant apparaître l’enfant et malgré l’intense émotion qui me traverse, je ne peux m’empêcher de le croire mort tant il respire faiblement. Parvati ne semble guère inquiète et jette de l’eau froide sur le visage et le corps du nouveau-né, tout en lui tapant sur les fesses jusqu’à ce qu’il pleure. Puis la sage-femme coupe le cordon avec une lame en fer, le saupoudre d’herbes anti-infectieuses et magiques et le lie soigneusement, de peur que l’air ne gagne le ventre et ne le fasse gonfler. Elle prend ensuite un morceau du cordon rattaché au placenta pour l’accrocher autour du cou de l’enfant.

Brésil

Avant de s’intéresser aux Indiens, le docteur Moyses Paciornik (né en 1914 et diplômé en gynécologie-obstétrique de la faculté de médecine du Parana) fonde un centre de prévention contre les cancers de la femme. Quand son fils Claudio, terminant les mêmes études que lui, s’intéresse aux populations indigènes, père et fils décident d’unir leurs compétences pour protéger les femmes indigènes de l’agression de la civilisation. Au cours de leur travail de terrain, ils se rendent vite à l’évidence que malgré leurs très nombreux enfants, les indiennes ont un état génital bien meilleur que celui des femmes « civilisées » qu’ils observent habituellement. Aucune perte d’urine quand elles toussent ou rient, et le rectum, l’urètre et le périnée, sont bien en place.

Ils attribuent tout d’abord cet état à leur mode de vie, ces femmes passant la plupart du temps accroupies obligeant ainsi toute la musculature à travailler. Cette position facilite l’irrigation des ovaires, une production hormonale équilibrée, avec menstruations et ovulations régulières, peu d’infertilité, d’avortements et de naissances prématurées, ainsi qu’une ménopause tranquille. Mais ils remarquent avec étonnement que certaines Indiennes des réserves ayant accouché avec la sage-femme missionnaire présentent des prolapsus génitaux équivalents à ceux existant chez leurs patientes de la ville. Afin de vérifier scientifiquement ces observations, ils inventent le vaginomètre, un drôle d’appareil qui une fois introduit dans le vagin, permet d’en mesurer la pression musculaire. Les statistiques sont formelles : la barre des 60 n’est pour ainsi dire jamais dépassée chez les « civilisées », alors qu’elle est facilement doublée chez les indigènes !

Étonnés, ils interrogent la sage-femme. Elle jure avoir pratiqué toutes les délivrances selon les techniques enseignées, en position allongée évidemment. Pressentant que l’accouchement accroupi avait des conséquences encore insoupçonnées sur les couches et leurs suites, père et fils se consacrent dès lors à une recherche minutieuse sur ce qu’ils viennent d’observer empiriquement. (...)


C’est à peine si j’ose entrer de peur de troubler le recueillement dans lequel la pièce est plongée. Accroupie sur la chaise, les pieds bien à plat et le bas des reins appuyé contre la mousse, Sylvana se cramponne, le visage tourné vers Moyses assis à ses pieds. Il ne la touche pas, mais agrippé à la barre, il semble lui transfuser de sa force. Dès qu’une contraction monte, Sylvana penche son corps en avant, pose la tête le long de ses doigts et décolle les fessiers et les talons de la chaise. Témoin silencieux, Moyses ne bouge pas. Quand Sylvana choisit de se lever, monumentale comme une déesse, son mari quitte le lit où il s’est discrètement retiré, pour venir se joindre à la prière de sa femme. Dans l’autre pièce, Josélia est, elle aussi, plongée dans son intériorité, soutenue par le futur papa, aussi jeune qu’elle. Ils rayonnent. D’une pièce à l’autre, je circule, aussi légère que possible. Sylvana s’agrippe franchement à la barre pour pousser. Les cheveux de l’enfant apparaissent. C’est toujours au moment de l’expulsion que la douleur semble la plus forte et Claudio, accroupi face à la parturiente, l’encourage d’une voix sûre. Une dernière poussée fait naître le bébé, sous le regard émerveillé du papa.


La Corse

Les premières contractions s’annoncent avec l’aube. Je m’adresse à mon enfant : – Voilà pour toi le moment de quitter ta maison douillette. Je t’ai déjà longuement parlé des richesses de la planète qui va t’accueillir, mais l’étroit passage que tu dois franchir pour découvrir ta nouvelle Terre est une épreuve difficile. Sache que tu n’es pas seul. Avec ton père et Katia nous sommes là pour t’accompagner, et t’attendons avec impatience. »

Je me prépare une verveine et continue de flâner dans les bras d’Auguste. À l’image du soleil qui se fait plus présent, les contractions deviennent plus fortes sans jamais que j’en perde le contrôle. Je sais qu’il ne s’agit pas d’une douleur destructrice, mais d’un accompagnement au mouvement de la vie qui se met en route. Les massages de Katia soulagent mes reins et Auguste m’accompagne discrètement. Il commence à faire chaud et nous nous préparons à descendre vers la plage.

L’eau me semble agréablement fraîche. Combien de fois, en abandonnant le poids de mon corps dans la mer, me suis-je préparée à cet instant, visualisant mon bassin et le laissant s’ouvrir progressivement. Mais il ne s’agit plus de répétition ; la dilatation du col est presque totale. Soutenue par Auguste et Katia, je laisse monter les dernières contractions. Propulsée dans un autre espace-temps, intégrée dans le Tout, de ma gorge sort un son qui n’est ni un cri, ni une plainte, mais ressemble à un chant de sirène. – Ouimmmm…


– Les dauphins ! s’écrie au même moment Katia en les apercevant bondir vers nous. Un sifflement prolongé me pénètre alors par les pieds, rebondit contre mon squelette et ressort en résonnant par ma tête. J’expire d’un seul souffle. Katia m’entoure à l’image des femelles dauphins. À la fin de l’expiration, l’enfant jaillit de mon ventre comme une flèche, dont la course est freinée par la pression de l’eau.


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